Eté 1983 – Grand hôpital de Los Angeles
Les victimes d’un accident de la route arrivent aux urgences. Un blessé léger, deux blessés graves. Une femme enceinte, quasiment à terme, faisant partie de la seconde catégorie, elle fut prise en charge le plus vite que les autres.
Elle fut emmenée en salle d’opération, où, pendant que la plupart des chirurgiens se démenait pour lui sauver la vie, un obstétricien lui faisait une césarienne d’urgence. C’est lui qui sauva la vie du bébé, qui, par miracle, n’avait aucune blessure. Toutefois, moins d’une heure plus tard, l’enfant avait perdu sa mère.

Eté 1983 – Bureau du service de protection de l’enfance
« Comment ca, pas de père ?
– Dans le dossier médical que la mère avait rempli, la case avait été barrée. Assez violemment, même.
– Mais il doit exister.
– J’ai moi-même interrogé les amis de la mère. Personne ne savait. »
La responsable prit sa tête dans ses mains. Elle détestait décréter qu’un enfant était orphelin. D’autant que la mère n’avait aucune famille susceptible de prendre en charge la petite, qui pour l’instant, se trouvait encore en observation à l’hôpital.
Après la mort de la mère, toutes ses affaires avaient été passées en revue pour trouver de la famille restante. Ce fut malheureusement infructueux. Mais ils avaient trouvé une copie de l’échographie, avec une liste de noms féminins gribouillés aux dos. Le premier de la liste était Liz. C’était donc ainsi que tous avaient choisi de désigner l’enfant.
Au moins, elle aurait eu un prénom choisi par sa mère. Pour le reste, il faudrait la faire adopter.

Eté 2001 – Rues de Los Angeles
Enfin, elle était une adulte. Libre. Elle pouvait faire ce que bon lui chantait. Liz venait en effet de fêter sa dix-huitième année et sa première action en temps que femme fut de quitter la maison de fou qui lui servait de maison. Sa dernière « famille ». Elle n’en avait plus besoin, elle allait se débrouiller seule, maintenant. Et elle n’aurait plus d’ennui.
Une partie d’elle se demanda avec amertume combien de temps les Ryder mettraient pour remarquer son absence. Ils n’étaient pas méchants. Mais, avec eux, elle se sentait ignorée. Il se passait parfois une semaine sans qu’elle n’adresse la parole à qui que ce soit dans la maison. Et, la plupart du temps, cela lui convenait. C’était probablement grâce à l’indépendance dont elle jouissait qu’elle avait  pu rester aussi longtemps avec eux. 6 ans. C’était son record. Mais elle ne pouvait plus rester.
Elle planifiait son départ depuis plusieurs mois, déjà. Sans en parler à ses tuteurs. Elle avait tout prévu : son emploi de caissière à mi-temps passait le jour même en temps complet, elle s’était arrangée pour avoir une place dans une colocation, et avait laissé un mot à ses tuteurs, leur expliquant qu’elle souhaitait reprendre sa vie et leur laissant le numéro de téléphone où ils pourraient la joindre. Non pas qu’elle espérait particulièrement qu’ils le fassent. Mais elle ne voulait pas qu’ils s’inquiètent pour elle.
Désormais, elle était une adulte et comptait bien vivre sa vie comme telle.

Automne 2010 – Un bar quelconque de la  cité des Anges.
Elle en avait assez de ce bar, elle en avait assez de son job de serveuse et de son salaire de misère. Mais, plus que tout, elle en avait assez de devoir nettoyer les vomissures de clients incapable de gérer leur alcoolémie. Ce qu’elle devait faire avant l’ouverture, puisque ses collègues du soir n’avaient pas daigné s’en occuper.
S’efforçant de ne pas respirer pour éviter la puanteur du sol, Liz essayait de voir quels choix l’avait menée à une vie aussi morne et pathétique. Elle n’y parvint pas. Son salaire de serveuse, bien que bas, s’accompagnait de pourboire qui plaçaient ses revenus bien au dessus de ceux qu’ils étaient lorsqu’elle n’était que caissière. Elle ne reviendrait à son ancien travail pour rien au monde. Et, elle ne s’imaginait pas obtenir une meilleure carrière que ce qu’elle avait. Sans études, sans diplôme, c’était le mieux qu’elle pouvait imaginer. Et elle n’arrivait pas à économiser suffisamment pour se permettre des études. Alors elle continuait, même si, chaque jour, elle avait plus envie que la veille de rendre son tablier, et de gifler Jonas, l’homme misogyne qui lui servait de patron depuis maintenant sept ans. Elle n’aurait probablement aucun mal à le mettre au tapis, puisqu’elle avait l’habitude de frapper dans un punching-ball pour évacuer sa frustration.
Elle venait de ranger la serpillière dans l’arrière salle lorsqu’elle l’entendit. Enfin. Qu’elle cessa d’entendre. Le monde devint d’un coup si silencieux qu’elle se cru sourde un instant. Jusqu’à ce qu’elle entende la voix très peu mélodieuse de Jonas. « Saleté de vermine. Dégage de mon bar. » En un instant, elle fut dans la pièce principale. Face à son patron qui tentait d’écraser une souris à coup de pelle.
Non, pas une souris.
Une souris, ce n’est pas jaune.
Liz n’avait aucune idée de ce que c’était, mais ca se débattait comme un beau diable. La souris – non, la chose – était rapide, et esquivait la pelle à une rapidité qui rendait Jonas fou. Jusqu’à ce que… « Je t’ai eue ! Tu fais moins la maligne, espèce de… » Laissant Jonas jurer, Liz se pencha vers la bestiole et la pris dans les mains. Elle avait la forme d’une souris, mais pour ce qui était de la taille et du poids, on s’approchait plus du rat. Quant à la couleur… Elle préféra l’ignorer.
La chose était inconsciente, mais entre ses mains, la jeune femme la sentait vibrer. Respirer. « Jette ce truc dans les toilettes et viens m’aider à préparer l’ouverture. » Liz jeta un regard haineux à son patron. Il voulait qu’elle tue ? Elle n’était pas une sainte, mais jamais elle n’avait ôté la vie à quoi que ce soit – même pas à un moustique ou à une araignée. Elle n’avait pas l’intention de commencer, avec une chose qui semblait sans défense.
« Fais-le, ou je te vire ! » Jonas, la regardant avec insistance, commençait à perdre patience. La phrase destinée à la faire accélérer le  processus, eu le résultat inverse. Elle se leva, gardant la chose dans sa main, et regarda l’homme dans les yeux, avec une expression de défi qu’elle n’avait jamais eu auparavant. « Pas besoin. Je démissionne. »
Sur ces quatre mots, elle quitta l’établissement, laissant son interlocuteur sans voix.
L’étrange chose était toujours blottie dans sa main, et commençait à remuer. Liz n’avait aucune idée de la dangerosité de la créature. Peut être était elle-même radioactive. Mais elle saurait assumer les conséquences de son geste. Et, pour l’instant, la conséquence était une souris jaune géante qui la regardait avec de grands yeux. Et qui prononça deux syllabes.
« Pi… Chu ? »